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Ma pens​é​e est couleur

by Ian Fournier

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1.
Les bruns chêneaux altiers traçaient dans le ciel triste, D'un mouvement rythmique, un bien sombre contour ; Les beaux ifs langoureux, et l'ypran qui s'attriste Ombrageaient les verts nids d'amour. Ici, jets d'eau moirés et fontaines bizarres ; Des Cupidons d'argent, des plants taillés en coeur, Et tout au fond du parc, entre deux longues barres, Un cerf bronzé d'après Bonheur. Des cygnes blancs et noirs, aux magnifiques cols, Folâtrent bel et bien dans l'eau et sur la mousse ; Tout près des nymphes d'or - là-haut la lune douce ! - Vont les oiseaux en gentils vols. Des sons lents et distincts, faibles dans les rallonges, Harmonieusement résonnent dans l'air froid ; L'opaline nuit m arche, et d'alanguissants songes Comme elle envahissent l'endroit. Aux chants des violons, un écho se réveille ; Là-bas, j'entends gémir une voix qui n'est plus ; Mon âme, soudain triste à ce son qui l'éveille, Se noie en un chagrin de plus. Qu'il est doux de mourir quand notre âme s'afflige, Quand nous pèse le temps tel qu'un cuisant remords, - Que le désespoir ou qu'un noir penser l'exige - Qu'il est doux de mourir alors ! Je me rappelle encor... par une nuit de mai, Mélancoliquement tel que chantait le hâle ; Ainsi j'écoutais bruire au delà du remblai Le galop d'un noir Bucéphale. Avec ces vagues bruits fantasquement charmeurs Rentre dans le néant le rêve romanesque ; Et dans le parc imbu de soudaines fraîcheurs, Mais toujours aussi pittoresque, Seuls, les chêneaux pâlis tracent dans le ciel triste, D'un mouvement rythmique, un moins sombre contour ; Les ifs se balançant et l'ypran qui s'attriste Ombragent les verts nids d'amour.
2.
Béatrice 02:59
D'abord j'ai contemplé dans le berceau de chêne Un bébé tapageur qui ne pouvait dormir; Puis vint la grande fille aux yeux couleur d'ébène, Une brune enfant pâle insensible au plaisir. Son beau front est rêveur ; et, quelque peu hautaine Dans son costume blanc qui lui sied à ravir, Elle est bonne et charmante, et sa douce âme est pleine D'innocente candeur que ne peut rien tarir. Chère enfant, laisse ainsi couler ton existence, Espère, prie et crois, console la souffrance. Que ces courts refrains soient tes plus belles chansons ! J'élève mon regard vers la voûte azurée Où nagent les astres dans la nuit éthérée, Plus pure te trouvant que leurs plus purs rayons.
3.
Voici que la tulipe et voilà que les roses, Sous le geste massif des bronzes et des marbres, Dans le Parc où l'Amour folâtre sous les arbres, Chantent dans les longs soirs monotones et roses. Dans les soirs a chanté la gaîté des parterres Où danse au clair de lune en des poses obliques, Et de grands souffles vont, lourds et mélancoliques, Troubler le rêve blanc des oiseaux solitaires. Voici que la tulipe et voilà que les roses Et les lys cristallins, pourprés de crépuscule, Rayonnent tristement au soleil qui recule, Emportant la douleur des bêtes et des choses. Et mon amour meurtri, comme une chair qui saigne, Repose sa blessure et calme ses névroses. Et voici que les lys, la tulipe et les roses Pleurent les souvenirs où mon âme se baigne.
4.
Le crêpe 02:27
Combien j'eus de tristesse en moi ce soir, pendant Que j'errais à travers le calme noir des rues, Éludant les clameurs et les foules accrues, À voir sur une porte un grand crêpe pendant. Aussi devant le seuil du défunt résidant, Combien j'eus vision des luttes disparues Et des méchancetés dures, sordides, crues, Que le monde à ses pas s'en allait épandant. Bon ou mauvais passant, qui que tu sois, mon frère ! Si jamais tu perçois l'emblême funéraire, Découvre-toi le chef aussitôt de la main Et songe, en saluant la mort qui nous recèpe, Que chaque heure en ta vie est un fil pour ce crêpe Qu'à ta porte peut-être on posera demain.
5.
La passante 01:57
Hier, j'ai vu passer, comme une ombre qu'on plaint, En un grand parc obscur, une femme voilée : Funèbre et singulière, elle s'en est allée, Recélant sa fierté sous son masque opalin. Et rien que d'un regard, par ce soir cristallin, J'eus deviné bientôt sa douleur refoulée ; Puis elle disparut en quelque noire allée Propice au deuil profond dont son coeur était plein. Ma jeunesse est pareille à la pauvre passante : Beaucoup la croiseront ici-bas dans la sente Où la vie à la tombe âprement nous conduit ; Tous la verront passer, feuille sèche à la brise Qui tourbillonne, tombe et se fane en la nuit ; Mais nul ne l'aimera, nul ne l'aura comprise.
6.
Le voyageur 02:09
Las d'avoir visité mondes, continents, villes, Et vu de tout pays, ciel, palais, monuments, Le voyageur enfin revient vers les charmilles Et les vallons rieurs qu'aimaient ses premiers ans. Alors sur les vieux bancs au sein des soirs tranquilles, Sous les chênes vieillis, quelques bons paysans, Graves, fumant la pipe, auprès de leurs familles Écoutaient les récits du docte aux cheveux blancs. Le printemps refleurit. Le rossignol volage Dans son palais rustique a de nouveau chanté, Mais les bancs sont déserts car l'homme est en voyage. On ne le revoit plus dans ses plaines natales. Fantôme, il disaprut dans la nuit, emporté Par le souffle mortel des brises hivernales.
7.
Au temps où je portais des habits de velours, Éparses sur mon col roulaient mes boucles brunes. J'avais de grands yeux purs comme le clair des lunes ; Dès l'aube je partais, sac au dos, les pas lourds. Mais en route aussitôt je tramais des détours, Et, narguant les pions de mes jeunes rancunes, Je montais à l'assaut des pommes et des prunes Dans les vergers bordants les murailles des cours. Étant ainsi resté loin des autres élèves, Loin des bancs, tout un mois, à vivre au gré des rêves, Un soir, à la maison, craintif, comme j'entrais, Devant le crucifix où sa lèvre se colle Ma mère était en pleurs!... Ô mes ardents regrets! Depuis, je fus toujours le premier à l'école.
8.
Ma mère, que je l'aime en ce portrait ancien, Peint aux jours glorieux qu'elle était jeune fille, Le front couleur de lys et le regard qui brille Comme un éblouissant miroir vénitien ! Ma mère que voici n'est plus du tout la même ; Les rides ont creusé le beau marbre frontal ; Elle a perdu l'éclat du temps sentimental Où son hymen chanta comme un rose poème. Aujourd'hui je compare, et j'en suis triste aussi, Ce front nimbé de joie et ce front de souci, Soleil d'or, brouillard dense au couchant des années. Mais, mystère de coeur qui ne peut s'éclairer ! Comment puis-je sourire à ces lèvres fanées ? Au portrait qui sourit, comment puis-je pleurer ?
9.
Quand les pastours, aux soirs des crépuscules roux Menant leurs grands boucs noirs aux râles d'or des flûtes, Vers le hameau natal, de par delà les buttes, S'en revenaient, le long des champs piqués de houx ; Bohèmes écoliers, âmes vierges de luttes, Pleines de blanc naguère et de jours sans courroux, En rupture d'étude, aux bois jonchés de brous Nous allions, gouailleurs, prêtant l'oreille aux chutes Des ruisseaux, dans le val que longeait en jappant Le petit chien berger des calmes fils de Pan Dont le pipeau qui pleure appelle, tout au loin. Puis, las, nous nous couchions, frissonnants jusqu'aux moelles, Et parfois, radieux, dans nos palais de foin, Nous déjeunions d'aurore et nous soupions d'étoiles...
10.
Un poète 02:47
Laissez-le vivre ainsi sans lui faire de mal ! Laissez-le s'en aller ; c'est un rêveur qui passe ; C'est une âme angélique ouverte sur l'espace, Qui porte en elle un ciel de printemps auroral. C'est une poésie aussi triste que pure Qui s'élève de lui dans un tourbillon d'or. L'étoile la comprend, l'étoile qui s'endort Dans sa blancheur céleste aux frissons de guipure. Il ne veut rien savoir ; il aime sans amour. Ne le regardez pas ! que nul ne s'en occupe ! Dites même qu'il est de son propre sort dupe ! Riez de lui !... Qu'importe ! il faut mourir un jour... Alors, dans le pays où le bon Dieu demeure, On vous fera connaître, avec reproche amer, Ce qu'il fut de candeur sous ce front simple et fier Et de tristesse dans ce grand oeil gris qui pleure !
11.
Ma pensée est couleur de lumières lointaines, Du fond de quelque crypte aux vagues profondeurs. Elle a l'éclat parfois des subtiles verdeurs D'un golfe où le soleil abaisse ses antennes. En un jardin sonore, au soupir des fontaines, Elle a vécu dans les soirs doux, dans les odeurs ; Ma pensée est couleur de lumières lointaines, Du fond de quelque crypte aux vagues profondeurs. Elle court à jamais les blanches prétentaines, Au pays angélique où montent ses ardeurs, Et, loin de la matière et des brutes laideurs, Elle rêve l'essor aux céleste Athènes. Ma pensée est couleur de lunes d'or lointaines.
12.
Nous étions là deux enfants blêmes Devant les grands autels à franges, Où Sainte Marie et ses anges Riaient parmi les chrysanthèmes. Le soir poudrait dans la nef vide ; Et son rayon à flèche jaune, Dans sa rigidité d'icone Effleurait le grand Saint livide. Nous étions là deux enfants tristes Buvant la paix du sanctuaire, Sous la veilleuse mortuaire Aux vagues reflets d'améthyste. Nos voix en extase à cette heure Montaient en rogations blanches, Comme un angélus des dimanches, Dans le lointain qui prie et pleure... Puis nous partions... Je me rappelle ! Les bois dormaient au clair de lune, Dans la nuit tiède où tintait une Voix de la petite chapelle...
13.
Je sais en une église un vitrail merveilleux Où quelque artiste illustre, inspiré des archanges, A peint d'une façon mystique, en robe à franges, Le front nimbé d'un astre, une Sainte aux yeux bleus. Le soir, l'esprit hanté de rêves nébuleux Et du céleste écho de récitals étranges, Je m'en viens la prier sous les lueurs oranges De la lune qui luit entre ses blonds cheveux. Telle sur le vitrail de mon coeur je t'ai peinte, Ma romanesque aimée, ô pâle et blonde sainte, Toi, la seule que j'aime et toujours aimerai ; Mais tu restes muette, impassible, et, trop fière, Tu te plais à me voir, sombre et désespéré, Errer dans mon amour comme en un cimetière !
14.
Les corbeaux 01:57
J'ai cru voir sur mon coeur un essaim de corbeaux En pleine lande intime avec des vols funèbres, De grands corbeaux venus de montagnes célèbres Et qui passaient au clair de lune et de flambeaux. Lugubrement, comme en cercle sur des tombeaux Et flairant un régal de carcasses de zèbres, Ils planaient au frisson glacé de mes vertèbres. Agitant à leurs becs une chair en lambeaux. Or, cette proie échue à ces démons des nuits N'était autre que ma Vie en loque, aux ennuis Vastes qui vont tournant sur elle ainsi toujours, Déchirant à larges coups de bec, sans quartier, Mon âme, une charogne éparse au champs des jours, Que ces vieux corbeaux dévoreront en entier.
15.
Certe, il ne faut avoir qu'un amour en ce monde, Un amour, rien qu'un seul, tout fantasque soit-il ; Et moi qui le recherche ainsi, noble et subtil, Voici qu'il m'est à l'âme une entaille profonde. Elle est hautaine et belle, et moi timide et laid : Je ne puis l'approcher qu'en des vapeurs de rêve. Malheureux ! Plus je vais, et plus elle s'élève Et dédaigne mon coeur pour un oeil qui lui plaît. Voyez comme, pourtant, notre sort est étrange ! Si nous eussions tous deux fait de figure échange, Comme elle m'eût aimé d'un amour sans pareil ! Et je l'eusse suivie en vrai fou de Tolède, Aux pays de la brume, aux landes du soleil, Si le Ciel m'eût fait beau, et qu'il l'eût faite laide !
16.
Je rêve de marcher comme un conquistador, Haussant mon labarum triomphal de victoire, Plein de fierté farouche et de valeur notoire, Vers des assauts de ville aux tours de bronze et d'or. Comme un royal oiseau, vautour, aigle ou condor, Je rêve de planer au divin territoire, De brûler au soleil mes deux ailes de gloire À vouloir dérober le céleste Trésor. Je ne suis hospodar, ni grand oiseau de proie ; À peine si je puis dans mon coeur qui guerroie Soutenir le combat des vieux Anges impurs ; Et mes rêves altiers fondent comme des cierges Devant cette Ilion éternelle aux cent murs, La ville de l'Amour imprenable des Vierges !

about

Ian Fournier propose l'album ma pensée est couleur... sur lequel il interprète 16 poèmes de Nelligan qu'il a mis en musique. Réalisé par Jérôme Boisvert, l'album traduit en musique l'atmosphère planante des textes du grand poète. Respectant le rythme dansant des mots de Nelligan, l'ambiance des chansons et les arrangements musicaux nous transportent tout droit à la fin du 19ème siècle alors qu'Émile errait dans les rues de Montréal à la recherche de mots, de sonorités et d'extases. Avec la complicité du bassiste Sébastien Blackburn, Ian Fournier explore le côté lumineux de l'écriture du poète en contraste avec sa vie et sa carrière difficiles.

credits

released October 9, 2009

Musiques, prise de son, guitare acoustique, guitare classique, mendoline, voix : Ian Fournier
Paroles : Émile Nelligan
Basse : Sébastien Blackburn
Réalisation, mixage, et mastering : Jérôme Boisvert au Studio Momentum
Photos et conception de la pochette : Isabelle Simard
Production : IF Musiques
© Ian Fournier 2009 (SOCAN)

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about

Ian Fournier Sherbrooke, Québec

Auteur-compositeur-interprète singulier, guitariste inventif à la voix sensible et à la plume vive et profonde, Ian Fournier propose des chansons fine et vibrantes où le désir de dire prédomine. Introspection, poésie, teintes d’humours et d’espoirs, l’artiste nous amène dans un univers intime où les réflexions côtoient les rires. ... more

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